C’est l’histoire d’un mépris qui a toujours une bonne excuse. Cette année, le football européen – anglais pour être précis – a choisi de faire porter à Omicron le chapeau de son aversion pour la Coupe d’Afrique des Nations (9 janvier – 6 février). Mi-décembre, l’Association européenne des clubs (ECA) s’inquiétait, dans un courrier à la Fifa, de l’absence de protocole médical et opérationnel adapté pour la CAN. Sans ce dernier « les clubs ne seront pas en mesure de libérer les joueurs pour le tournoi », écrivait alors l’instance, tandis que courait encore la rumeur d’une annulation de la compétition.
La tournure est cocasse : si les chiffres du Covid autorisent un camp à craindre l’autre, ce n’est certainement pas l’Europe de tous les records quotidiens. « Au concours de la mauvaise foi, il y a quelques Ballons d’Or », ironise Claude Le Roy, vainqueur de la CAN 1988 sur le banc du Cameroun et toujours d’attaque lorsqu’il s’agit de défendre le foot africain. Un peu plus au Nord, chez la Reine, l’ancien international anglais Ian Wright se pose aussi des questions. « Nous avons joué notre Euro à travers 10 pays au milieu d’une pandémie et il n’y a pas eu de problème du tout, remarquait-il au micro de la BBC. Mais le Cameroun, un seul pays qui accueille un tournoi, ça devient soudain un problème. »
Le spectre d’une absence longue durée
Le foot européen a finalement échoué à faire capoter la CAN 2022, dont le coup d’envoi aura lieu dimanche (Cameroun – Burkina Faso), mais non sans emmerder le voisin africain dans un ultime élan de panache. Les clubs du vieux continent, après s’être assurés qu’il n’y aurait pas de quarantaine à l’aller comme au retour, ont ainsi pu libérer leurs joueurs le 3 janvier au gré d’un accord entre la CAF et a Fifa. Six jours de préparation, ça pour être court, c’est court. « C’est du n’importe quoi, peste Le Roy. On s’est plaint des dix jours de préparation pour la Coupe du monde 2022. Et là, on fait encore moins que ça. »
« Y a-t-il un tournoi plus méprisé que la Coupe d’Afrique des Nations ? », interroge Wright, lequel juge déplacées les questions des journalistes bien souvent tentés de soumettre les joueurs au dilemme club/équipe nationale. Ce dont s’est d’ailleurs plaint Sébastien Haller (Ajax/Côte d’Ivoire) dans les colonnes de De Telegraaf :
« Cette question montre le manque de respect pour l’Afrique. Poseriez-vous cette question à un joueur européen avant un Euro ? Bien sûr que je vais aller jouer la CAN. C’est le plus grand honneur. »
Haller omet néanmoins un détail, ou plutôt le nerf de la guerre : l’Euro se joue en été sans empiéter sur le sacro-saint territoire des clubs au contraire de la Coupe d’Afrique, qui était d’ailleurs rentré dans le rang en 2019 et retrouvera son créneau estival en 2023. Alain Giresse, sélectionneur d’équipes africaines de 2006 à 2019 :
« Tout est provoqué par le placement de la compétition dans le calendrier. Admettons que la Coupe du monde se passe en même temps que les compétitions de clubs. Vous connaissez un club qui dirait que ce n’est pas grave ? Que vous partez, qu’on vous paye de la même manière pendant qu’eux continueraient leur championnat ? Non, il n’y a pas un club au monde qui l’accepterait. Car dans l’absolu, on est toujours dans une opposition club contre équipe nationale. »
Le conflit entre clubs européens et nations africaines n’est pas nouveau, si bien que Claude Le Roy n’a aucun mal à remonter quelques décennies en arrière pour évoquer certaines bassesses de Guy Roux, devenu maître dans l’art de l’esquive de l’épineux problème hivernal.
« Il faisait sélectionner des jeunes en France en moins de 16 ans à l’époque où une sélection chez les jeunes vous empêchait de postuler à une autre nation en senior, ce qui a été le cas de Roger Boli [dont le compteur est resté bloqué à une cape chez les espoirs] par exemple. C’était des sélections bidon chez les jeunes pour les empêcher d’y aller. »
Dupraz applaudit ceux qui ont choisi de ne pas y aller
« J’ai eu des discussions avec des clubs anglais, je vous dis pas, se rappelle pour sa part Alain Giresse. Il y a des clubs qui mettaient la pression et à qui j’étais obligé de tenir tête. » La différence étant qu’hier, seuls les entraîneurs du calibre de José Mourinho se permettaient d’emmerder des Le Roy pour libérer Michael Essien le plus tard possible. Mais les exigences des clubs ont fini par s’accroître avec le temps et les menaces aussi, comme le regrettait récemment le sélectionneur du Maroc, Vahid Halilhodzic. « Tous les clubs font tout pour que les joueurs ne viennent pas, certains ont menacé des joueurs, leur ont dit qu’ils pouvaient perdre leur place, être transférés. »
Les sélectionneurs des équipes africaines se retrouvent donc à jouer les diplomates. Giresse : « En 2015, Sadio Mané était blessé, il était à Southampton à ce moment-là. J’ai accepté qu’il vienne avec son préparateur. On a intégré tout ça, on a greffé un peu le préparateur au staff pour éviter l’affrontement entre les deux parties. » Cette année, la fédération sénégalaise (FSF) a réussi à faire décoller Ismaïla Sarr après un bras de fer avec Watford, le club ayant longtemps tenté de retenir son joueur au motif d’une blessure au genou contractée au mois de novembre.
En France, Pascal Dupraz, nouvel entraîneur de l’ASSE engagé dans une périlleuse mission maintien, s’est montré laudateur envers Mahdi Camara et Zaydou Youssouf. Tous deux ont préféré l’opération de sauvetage des Verts à la CAN. « Il y a des garçons à qui on n’a pas eu besoin de le demander et qui restent, qui étaient sélectionnables et qui ont pris le parti de rester à l’AS Saint-Etienne pour sortir le club de l’ornière. Ça ne veut pas dire que ceux qui partent à la CAN sont perdus définitivement. » Mais pas loin, quand même. « Les joueurs sont embêtés d’être pris entre deux eaux. Ils sont mal à l’aise », regrette Alain Giresse.
Le poids des stars
Rares sont néanmoins ceux qui hésitent ou rejettent l’appel de la Coupe d’Afrique des Nations. Le Roy : « Ils rêvent de ça depuis tout petit ils viennent comme un seul homme pour la jouer. La CAN est plus importante pour les Africains que la Coupe du monde. » Un point sur lequel le football européen ne semble pas encore au fait. L’ancien gardien de l’OM et du Cameroun, Joseph-Antoine Bell, se satisfait de voir des acteurs du football africains, joueurs comme entraîneurs, commencer à revendiquer l’importance de leur grand-messe.
Mais il en attend plus des stars de Premier League, « ceux qui, même s’ils entraient en conflit avec leurs clubs, en auraient trois ou quatre qui frapperait à la porte pour les récupérer. C’est à eux de se lever pour rappeler leur attachement à leur continent. Aujourd’hui, les Klopp, les entraîneurs comme ça, ils sont capables d’aménager du temps de jeu pour des joueurs Sud-américains qui ont beaucoup d’heures de trajet en équipe nationale sans que ça pose problème. Il faudrait que ça soit pareil avec les joueurs africains. » Preuve que l’Afrique du foot ne bénéficie pas encore du même traitement que les autres.
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