Ces derniers mois, les influenceurs ne cessent de se frotter aux politiques. On a vu le président de la République Emmanuel Macron inviter les youtubeurs McFly et Carlito à L’Elysée, les influenceuses Maïssane, Victoria Mehault, Isabeau, Lena et Neverly pousser les portes du ministère de l’Intérieur pour discuter de violences conjugales avec Marlène Schiappa, ministre déléguée chargée de la Citoyenneté, et même Tibo InShape faire de la promo pour le gouvernement… Mais depuis le 23 janvier, Magali Berdah, a.k.a la papesse de la téléréalité, passe le niveau au-dessus avec son émission politique 24 heures avec… diffusée sur YouTube.
La fondatrice de Shauna Events, qui représente la plupart des gros influenceurs français, a diffusé ses deux premières émissions d’une trentaine de minutes où elle rencontre avec ingénuité les candidats déclarés à la présidentielle 2022. Le ton léger, Magali Berdah assume pleinement sa méconnaissance du monde politique. Elle est là pour rencontrer l’humain et choisit de se mettre à la hauteur de ses followers qui sont, pour beaucoup, dépolitisés. Légèreté et sympathie sont au rendez-vous. Et jusqu’ici la formule cartonne. Le premier épisode avec Eric Zemmour a déjà été visionné plus de 500.000 fois contre près de 200.000 fois pour le deuxième épisode avec Jean-Luc Mélenchon, diffusé le 2 février. Pourquoi Magali Berdah s’est-elle lancée dans ce projet d’émission ? Ne prend-elle pas un risque à s’acoquiner avec le monde politique ou, au contraire, se sert-elle de cette émission pour montrer ce dont elle est capable ?
« On ne s’engage pas en politique »
Intuitivement, on aurait tendance à se dire qu’un influenceur qui pèse plus d’un million d’abonnés aurait tout à risquer à s’engager en politique. La plupart des stars de la téléréalité refusent de se positionner. En novembre dernier, quand Nabilla est interrogée sur la présidentielle par Yann Barthès dans Quotidien, on la sent gênée. Exilée à Dubaï comme beaucoup d’autres influenceurs, elle se sent loin du quotidien des Français. Pourtant, ils sont nombreux -Sebydaddy, Laura Lempika, Nikola Lozina…- à avoir relayé l’émission de leur boss. Magali Berdah leur a proposé de participer à cet élan civique, sans obligation, et se défend de partialité. « On ne s’engage pas en politique. La vidéo d’Eric Zemmour et de Jean-Luc Mélenchon sont tournées de la même manière, je suis dans la découverte de l’homme, insiste la jeune femme qui a déjà booké trois autres aspirants à l’Elysée dans les prochains jours et qui a prévu de n’oublier personne. Si mes influenceurs avaient partagé la vidéo d’Eric Zemmour et pas celle de Jean-Luc Mélenchon, ce serait de la propagande, sauf que ce n’est pas le cas », rétorque-t-elle. Elle assure même préférer qu’un influenceur ne poste rien plutôt qu’une seule vidéo.
« En tant que directrice d’agence, j’ai pris conscience que nos réseaux sociaux peuvent être utilisés à autre chose que du placement de produit, reprend-elle. J’essaie d’engager mes influenceurs qui sont méprisés depuis des années. On ne s’est pas rendu compte tout de suite de l’impact qu’on pouvait avoir grâce à ces plateformes ». C’est d’ailleurs grâce à sa rencontre marquante avec Elisabeth Moreno, ministre déléguée à l’Égalité femmes-hommes, à la Diversité et à l’Égalité des chances, que Magali Berdah a pris conscience que tous les politiciens ne se valent pas. Et que les réseaux sociaux pouvaient lui servir à communiquer sur des sujets de société.
A ceux qui verraient dans ces vidéos une manœuvre pour finir à la télévision, Magali Berdah rappelle qu’elle anime déjà Les princes et les princesses de l’amour sur W9 depuis trois ans et qu’elle est chroniqueuse dans Touche pas à mon poste présenté par Cyril Hanouna sur C8 depuis quatre ans. Pour elle, il est surtout question de devoir civique. « J’essaie de faire découvrir des choses à des gens comme moi qui ne comprennent rien à la politique. Beaucoup de mes followers me disent : “Grâce à toi je vais aller voter” », se félicite-t-elle. Et Vincent Manilève, auteur de YouTube, derrière les écrans (éditions Lemieux) salue ce résultat. « Elle se met à la hauteur des gens qui la suivent, pointe-t-il. Ils se sentent proches. Sa démarche est détachée de tout regard critique, c’est cette approche qui est critiquée ». Car si l’émission a reçu un large écho, de nombreuses voix se sont levées pour pointer l’appauvrissement du débat démocratique en France.
« Je me demande si on peut encore faire nation dans une société de l’influence »
« Si ça se borne à être une stratégie perroquet, se présenter comme un mégaphone de politiques, je pense que la limite est assez vite atteinte, juge Anne-Claire Ruel, experte médias et communication et fondatrice du compte Instagram Call Pol qui décrypte la présidentielle de 2022. C’est utile pour le politique dans le sens où il n’y a pas de contradiction, mais pour les gens qui regardent, ce sera juste un nouveau format façon Ambition intime de Karine Le Marchand, sauf qu’on s’adresse à un nouveau public. » On se focalise sur la personnalité des hommes politiques en question et, pour elle, les politiques ont tout à y gagner. Une émission à micro ouvert où le candidat peut dérouler son discours.
« On met en scène une personnalité, des expériences personnelles, on rend sympathique quelqu’un et on occulte les enjeux politiques, la vision de la société, comment on fait nation aujourd’hui », s’inquiète Anne-Claire Ruel pour qui l’émission de Magali Berdah s’adresse à une bulle. Elle ne touche « que » un million de personnes. Sans compter les millions d’abonnés aux comptes de ceux qui ont relayé ses contenus. « Je me demande si on peut encore faire nation dans une société de l’influence, si on raisonne en canaux, s’il n’y a plus de débat contradictoire, s’il n’y a plus d’intermédiaire pour décoder, c’est angoissant. Cela peut conduire certaines personnes à regarder plus en détail mais je n’ai pas l’impression que cela sert le débat », déplore la spécialiste de la communication qui ajoute que la campagne n’a toujours pas commencé.
Prochaine ministre des réseaux sociaux ?
Surexposée médiatiquement, Magali Berdah a l’habitude de recevoir des critiques et de les ignorer. « Je n’ai pas la prétention de dire que mes vidéos sont pointues, je montre des univers différents avec des façons de penser différentes. Tous les candidats vont être sympas donc les gens ne choisiront pas sur le critère de la sympathie, répond-elle. Si je commence à construire un discours politique, les gens n’ont pas besoin de moi, ils regardent BFMTV, je ne toucherai pas ma cible ». Elle explique sans honte être au niveau 0 de la compréhension des rouages d’une campagne électorale, comme des millions de Francais. Grâce à son émission, elle a découvert, par exemple, les fameuses 500 signatures que les candidats cherchent à recueillir auprès des maires pour pouvoir se lancer officiellement dans la course à la présidence. Elle ne cache pas ses lacunes, elle s’en sert au contraire comme levier pour atteindre les abstentionnistes.
Car l’objectif affiché de Magali Berdah est de ramener ses followers vers les urnes. Rappelons que le taux d’abstention lors des élections régionales de 2021 s’élevait à plus de 65 %. A la présidentielle de 2017, elle dépassait 25 % au second tour. Ceux qui s’intéressent déjà à la campagne présidentielle ne regarderont pas ses vidéos et ça tombe plutôt bien puisqu’elle ne s’adresse pas eux. Elle espère créer des envies chez ceux qui, comme elle, se sont détournés des urnes depuis longtemps. Mais derrière cette bonne action, il y a un autre enjeu pour elle. « Peser dans le débat sur les réseaux sociaux et le métier des influenceurs. Elle fait du lobbying pour la reconnaissance de ce métier », observe Vincent Manilève. Et Magali Berdah confirme. « Je veux professionnaliser mon métier. Je vais soulever le fait qu’il manque des réglementations sur les réseaux sociaux ». Magali Berdah va-t-elle permettre la création d’un ministère des réseaux sociaux ? En tout cas, elle souffle l’idée à chaque candidat.
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